Les banques privées de sang de cordon font débat. La proposition d'un député de créer des banques privées familiales de sang de cordon ombilical suscite des critiques chez les gynécologues et greffeurs qui dénoncent une « dérive mercantile ». C'est un débat passionné. « Nous souhaitons agir avec pragmatisme pour permettre à la France de rattraper son retard dans un domaine thérapeutique prometteur », disent les uns. Tandis que les autres dénoncent une « dérive mercantile, contraire à nos lois de bioéthique ». Ce débat concerne le sang placentaire, c'est-à-dire le sang contenu dans le cordon ombilical et prélevé à la naissance. En novembre 2009, un député UMP (Territoire de Belfort), Damien Meslot, a déposé une proposition de loi visant à autoriser la création de banques privées permettant à des parents, moyennant finance, de conserver le sang de cordon de leur enfant, afin de tenter de le soigner s'il devait, un jour, être atteint d'une maladie du sang. Cette initiative suscite de vives critiques de la part des gynécologues et des greffeurs de moelle, vent debout contre ces banques « commerciales ». Selon la Société française de greffe de moelle et de thérapie cellulaire (SFGM-TC) et la Société française d'hématologie (SFH), il faut demander « clairement aux parents de refuser ces offres pour le moins fallacieuses, qui soulèvent des espoirs quasi inexistants ». 20 000 transplantations de sang de cordon en 20 ans Le sang de cordon contient des cellules souches (dites hématopoïétiques), qui produisent des cellules sanguines indispensables à l'organisme : les globules rouges, les globules blancs et les plaquettes. Au début, les médecins pensaient que ces cellules se trouvaient uniquement dans la moelle osseuse. Pendant longtemps, le principal traitement de certaines maladies du sang, en particulier les leucémies aiguës, a donc été la greffe de moelle. Mais de nouvelles perspectives sont apparues quand on a réalisé que ces cellules souches étaient aussi présentes dans le sang placentaire, dont l'utilisation ne pose pas de problème éthique puisque le cordon ombilical est jeté à la naissance. En 1988, le professeur Éliane Gluckman (hôpital Saint-Louis, Paris) a réalisé une première mondiale en sauvant un petit garçon souffrant d'une grave maladie sanguine (anémie de Fanconi) grâce au sang de cordon, prélevé lors de la naissance de sa petite soeur. Dans les années 1990, la plupart des pays développés ont mis en place des banques publiques pour stocker des unités de sang de cordon, issues de dons volontaires et gratuits. Ce sont dans ces banques que les médecins viennent piocher lorsqu'ils ont besoin de soigner un patient pour une leucémie, un lymphome ou certaines maladies génétiques ou déficiences immunitaires. Grâce à ces banques, depuis vingt ans, plus de 20 000 transplantations de sang de cordon ont été réalisées dans le monde. Il s'agit là de transplantations « allogéniques », le donneur et le receveur étant deux personnes distinctes et non apparentées. Respecter certains principes intangibles de solidarité. En 2008, un rapport de la sénatrice UMP Marie-Thérèse Hermange a tiré la sonnette d'alarme face au retard pris par la France, au 16e rang mondial en termes de nombre d'unités de sang de cordon disponibles par habitant. Notre pays comptait alors 7 200 unités de sang de cordon alors qu'aux yeux des spécialistes, il conviendrait, pour répondre à nos besoins thérapeutiques, d'atteindre un objectif moyen de 50 000 unités. Aujourd'hui, on recense 8 200 unités disponibles en France. Du coup, pour soigner leurs malades, les médecins français sont souvent obligés de se fournir dans des banques étrangères. « Le taux de dépendance de la France était en 2007 de 64 %, ce qui, avec un coût moyen d'importation de 18 000 euros, a entraîné un déficit de 3,6 millions d'euros pris en charge par l'assurance-maladie », précisait Marie-Thérèse Hermange. Dans la foulée, elle estimait que les banques privées, stockant des greffons à visée intrafamiliale, pourraient être « un complément utile » aux banques publiques. À condition de respecter certains principes intangibles de solidarité : pour la sénatrice, si un jour un médecin devait avoir besoin de sang stocké dans une banque privée pour soigner un malade, celle-ci serait obligée de lui céder. «Un éventuel usage à des fins réparatrices ou régénératrices». En 2002, le Comité consultatif national d'éthique s'était, lui, opposé aux banques privées, s'inquiétant d'une « vision excessivement utilitariste, utopiste et commerciale » de la conservation du sang placentaire. Aujourd'hui, le débat est donc relancé avec la proposition de loi de Damien Meslot, qui ignore quand celle-ci pourra être discutée. « Soit on l'inscrit dans une niche du groupe UMP, soit on la reprend sous la forme d'amendement lors de la révision des lois de bioéthique prévue pour cette année 2010 », explique le parlementaire. Pour lui, le premier objectif est de mieux informer les parents de l'existence de cellules souches dans le cordon ombilical, tout en leur donnant la possibilité, s'ils le souhaitent, de le conserver « en vue d'un éventuel usage à des fins réparatrices ou régénératrices ». Ce qui implique de modifier la loi pour permettre la création de banques privées à visée « autologue », c'est-à-dire pour qu'un malade puisse être soigné par son propre sang de cordon. Les parents pourraient faire don de ce sang. « On m'accuse d'être le cheval de Troie du privé alors que j'essaie simplement d'être pragmatique », explique Damien Meslot. « Si on m'apporte la preuve que les banques publiques peuvent suffire pour faire face à nos besoins, je dis banco. Mais tout le monde sait que cela ne sera pas le cas. Et je ne vois pas au nom de quelle idéologie on se priverait de l'aide de banques familiales à visée solidaire », ajoute-t-il. C'est également ce concept que met en avant le professeur Georges-Fabrice Blum, chef du service de gynécologie-obstétrique à la clinique du Diaconat à Mulhouse et vice-président du Collège national des gynécologues obstétriciens de France (CNGOF), instance qui a pourtant pris position contre les banques privées. « Aujourd'hui, de nombreux parents souhaiteraient conserver le sang de cordon de leur enfant. Comme ils ne peuvent pas le faire en France, ils se tournent vers des banques étrangères », explique le médecin, qui prône le développement de banques privées solidaires. « Les parents pourraient stocker, moyennant une somme d'environ 2 000 euros, le sang de cordon de leur bébé. Mais si un jour, on se rend compte que ce sang est utile pour soigner un malade en France, les parents pourraient en faire don. Ils seraient alors intégralement remboursés », indique le professeur Blum. «Pas de bases scientifiques solides». Président du CNGOF, le professeur Jacques Lansac se montre, lui, sévère sur la proposition de loi. « Cette démarche, purement lucrative, ne sert aucun intérêt thérapeutique et va à l'encontre des principes de solidarité et d'égalité défendus par nos lois de bioéthique », affirme-t-il, rejoignant la position défendue par la SFGM-TC et la SFH. Ces deux sociétés savantes contestent notamment les arguments scientifiques mis en avant par les banques privées. Elles affirment que, pour l'instant, l'utilisation autologue du sang de cordon est « totalement inutile », seules les greffes allogéniques (provenant d'un donneur différent) étant efficaces pour traiter par exemple les leucémies. Les deux sociétés savantes estiment aussi que les compagnies privées font miroiter de faux espoirs aux parents en mettant en avant le potentiel des cellules souches du sang placentaire pour développer un jour, au-delà des maladies du sang, une médecine réparatrice et régénératrice. « Ceci ne repose pas sur des bases scientifiques solides », affirment la SFGM-TC et la SFH. Selon elles, la priorité n'est pas de créer des banques privées mais d'allouer davantage de moyens pour développer des banques publiques. En France, entre 2008 et fin 2009, le nombre de banques publiques aura triplé (de 3 à 9 banques). Un chiffre encore insuffisant aux yeux des défenseurs des banques privées qui, toutefois, savent qu'ils devront se passer du soutien de Roselyne Bachelot. Mi-décembre, la ministre de la santé s'est en effet clairement prononcée contre la proposition de loi du député Damien Meslot. ** Une brèche face au principe de « non-patrimonialité du corps humain ». « Une légalisation des banques commerciales de sang de cordon constituerait une remise en cause de la non-patrimonialité du corps humain, qui est un fondement intangible de notre système de santé. » Grégory Katz ne cache pas sa préoccupation face à cette tentative de légaliser la création de banques privées de sang de cordon. « En suivant cette logique, pourquoi ne pas aussi commercialiser la conservation d'un coeur, d'un foie ou privatiser la transfusion sanguine ? » s'interroge ce professeur en management des industries de santé, titulaire de la chaire Innovation thérapeutique à l'Essec et directeur de la Fondation générale de santé. C'est à la suite d'un grave problème de santé que ce docteur en pharmacie et en philosophie a été amené à s'intéresser au problème du sang de cordon. Une épreuve sur laquelle Grégory Katz préfère aujourd'hui rester discret, rappelant juste que le sang de cordon est un sujet qui « lui reste vissé au nombril ». C'est en tout cas après avoir vaincu la maladie qu'il a décidé de s'engager pour développer le don de sang placentaire, selon « les principes éthiques du don anonyme et gratuit, garantissant l'égal accès aux soins pour tous les patients, riches ou pauvres». Cinq maternités participent aujourd'hui à des prélèvements de sang de cordon Et c'est finalement auprès de la Générale de santé, groupe important de cliniques privées, que Grégory Katz a trouvé une oreille attentive pour développer ses projets. Grâce à un partenariat public-privé avec l'Établissement français du sang, cinq maternités du groupe participent aujourd'hui à des prélèvements de sang de cordon, gracieusement mis à la disposition des banques publiques. « Trois autres maternités devraient être rapidement opérationnelles pour participer à cet engagement altruiste. Et ce rythme va s'intensifier », explique Grégory Katz, qui insiste sur les efforts engagés en faveur des banques publiques de sang de cordon. Pour 2010, le budget de l'Agence de biomédecine a presque quadruplé « Depuis deux ans, les autorités sanitaires mènent une politique très volontariste dans ce domaine. Entre 2008 et 2010, le nombre de banques publiques et de maternités collectrices aura été multiplié par trois. Et pour 2010, le budget de l'Agence de biomédecine a presque quadruplé, pour atteindre 2,5 millions d'euros », affirme Grégory Katz, en ajoutant que le plan cancer a, lui, prévu d'engager 4 millions d'euros par an, sur cinq ans, pour le développement du don placentaire non commercial. « L'argument selon lequel les banques commerciales voleraient au secours de la santé publique ne trompe donc que les esprits mal informés », estime-t-il. La Fondation générale de santé a ouvert en décembre un site Internet ( www.sangdecordon.org ) très pédagogique et détaillé sur la problématique du sang placentaire. ** Le sang placentaire en France et dans le monde. En France, la conservation du sang placentaire (qui a le statut de résidu opératoire) n'est permise que pour un usage allogénique dans des banques publiques, autorisées par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). On recense dans l'Hexagone six banques de sang placentaire (Besançon, Créteil, Bordeaux, Paris, Lyon-Grenoble, Annemasse). Trois autres sont sur le point d'ouvrir (Montpellier, Poitiers, Marseille). D'autres banques devraient voir le jour en 2010. Au total, 12 maternités prélèvent du sang de cordon pour ces banques. Une dizaine d'autres devrait être opérationnelle cette année. En 2005, la France comptait 0,7 unité de sang placentaire pour 10 000 habitants, loin derrière l'Espagne (4,1), la Finlande (4,4), l'Australie (5,8), la Corée du Sud (9,3) ou la Belgique (34,8). Aujourd'hui, on recense en Europe principalement deux sociétés de banques privées (Cryo-Save et Future Health), présentes dans de nombreux pays, notamment au Royaume-Uni, en Suisse ou en Espagne. Les parents français, qui envisageraient de transporter ou d'envoyer par colis le sang de cordon de leur enfant pour le conserver dans une banque étrangère, doivent savoir que cette pratique est illégale et punie par le code pénal (art. 511-8 à 511-8-2). source: La-Croix.com